PARENTS

Un blog parle d'une famille déchirée, père alcoolique battant sa femme, enfants se cachant , autres cas… C'est si fréquent , si épouvantable. D'autres parlent de parents indifférents, sévères, parents couvant de trop leurs petits; et moi , je suis où dans tout ça ?

Je ne me souviens pas de mots durs de la part de ma mère, et je n'ai reçu qu'une fessée de la part de mon père , elle fut très méritée ! Toutes les lettres de mes parents sont d'une sensibilité, tendresse et amour. En les lisant on peut penser "Quelle chance, comme elle a été aimée !" Pas si simple.

J'ai cru jusqu'à l'adolescence avancée, même adulte , inconsciemment, avoir été aimée par mes parents.  Aimée par les deux, séparés ou pas, malgré les attaques contre ma mère, ayant quitté le domicile conjugal. Mes parents ne se fâchaient pas ensemble et se voyaient parfois, alors je n'avais aucune raison de me poser des questions, leur séparation ne me concernait pas.

Ballotée d'une pension à l'autre, quelques jours chez ma mère par ci, par là, deux ans avec mon père, l'été les colonies. Le tout parsemé de petits bonheurs : papa me lisant le soir en russe, me chantant ou me racontant son enfance dorée, nos sorties au cirque de Moscou, les fraises qui nous tenaient lieu de dîner et nos visites chez les oncles ou amis.

Chez maman aussi il y avait des petites joies : les vêtements pour mes poupées que je trouvais en arrivant, ma mère cousait très bien, les confiseries près des poupées, les livres et les contes qu'elle racontait si bien que je n'ai jamais pu lire Victor Hugo sans pincement de coeur car l'homme qui rit de maman était bien plus passionnant à celui de l'écrivain. Maman aussi avait eu une vie passionnante et j'aimais écouter ses souvenirs d'enfance.

Les bons moments ne sont que des moments, la vie reprenait et je me trouvais soit dans une pension, une école, une colonie russe ou ailleurs et là j'avais encore la chance de recevoir des lettres tendres, par contre les visites plus rarement.

J'avais vite compris qu'en ne demandant rien mes relations avec mes parents ne pouvaient qu'être excellentes ou presque. Les questions gênantes ma mère les rejetait, jouait la mère digne, ainsi :

- Pourquoi tu m'as abandonné et tu ne m'as pas gardé ?

- Je ne pouvais pas mon poussin, je n'avais pas assez d'argent ni de place...

J'arrêtai avant la fontaine de pleurs, très forte ma maman pour les larmes.

D'autres fois je voulais savoir pourquoi elle ne m'a pas gardé pendant ma varicelle ? Simple, elle n'aimait pas les maladies et n'aurait pas pu me soigner, le tout finissait par "tu sais bien je suis une artiste peintre" . Oui, je savais et c'est bien le seul point ou j'étais fière d'elle , sa peinture. Il fallait bien que je puisse clouer le bec aux détracteurs de ma mère,  alors j'en parlais de sa peinture, des expositions au Grand Palais. Mais là aussi un jour  elle oublia mon portrait, celui que j'aimais tant et la seule réponse qu'elle me fit " papa était chargé d'y aller en voiture, il ne l'a pas fait et moi je ne pouvais plus porter des charges." Portrait perdu, celui qui me ressemblait le plus ou j'ai posé avec tant de joie.

A la décharge de mes parents, j'avais 45 ans d'écart avec ma mère et 47 avec mon père. J'ai su, pas par eux, que je n'étais pas vraiment désirée et que papa s'est remis avec maman uniquement à cause de moi.

Maman était occupée à peindre des châles,  parfois des tableaux, plus tard des icônes, je comprenais quand elle me disait "je n'avais pas le temps de m'occuper de toi".

Papa travaillait beaucoup, il me laissa un an en Haute Savoie, il est revenu me chercher et je ne l'avais pas reconnu, pendant dix jours environ ce fut le bonheur puis retour chez grand-mère malade qui s'occupa de moi. Papa laissa sa mère faire à sa guise je n'ai presque pas de souvenirs de lui à cette époque.

Il y a eu un an de préventorium, j'avais presque 12 ans et si certains parents venaient tous les mois, ( 130 km de Paris, nous habitions la banlieue) mon père ayant une voiture ne venait que tous les deux mois. Plus tard cela me fit réfléchir.

Un jour on me donna des vêtements comme les orphelins et j'écrivis à papa pour le lui dire, son orgueil ou autre chose le fit venir avec des vêtements neufs faits par ma soeur de 14 ans mon aînée.

Je me souviens d'un internat, malade, j'écrivis à papa de me reprendre mais il me laissa à l'hôpital, le tout enrobé dans une jolie lettre comme il savait si bien écrire avec tellement d'amour qu'on y croyait.

Plus tard un psychiatre me dit "Vous avez été mal aimée" et là les détails m'envahirent, à quoi bon, ils sont morts tous les deux, j'ai commis moi-même des erreurs n'ayant pas eu de modèle de mère. Je m'en suis sortie, je peux parler de mes parents sans en souffrir, je peux aussi me souvenir des bons moments. Les dégâts sur moi furent aussi importants que pour un enfant maltraité mais furent-ils différents ?,  Je fus complexée, introvertie, pas d’exemple pour être mère.

Je pense que j'ai accepté la vie sans crainte après 40 ans. Une autre expérience, douloureuse mais d'une autre façon car l'illusion d'amour dura longtemps, les questions sans réponses encore plus longtemps .

Elena 2008

 

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