LES VERBOIS

 

      Ma mère décida de quitter mon père en lui laissant une lettre, elle n’eut pas le courage de le lui dire franchement. Je me retrouvai avec ma sœur de 14 ans mon aînée, divorcée avec une fillette de 3 ans : Annie.

Je ne comprenais rien, mon père pleurait, mes parents ne se fâchaient jamais et ce fut assez dur.

Un jour ma sœur me dit :

-         Je vais t’emmener avec Annie en Haute Savoie, il y a la montagne, c’est très joli et dès que je peux, je reviens vous chercher – Oncle Vava y est allé, il s’est beaucoup plu, il y a des vacanciers.
Je ne dis rien, l’ambiance n’était pas au beau fixe à la maison.

 

Enfin arriva le jour du départ, j’avais 7 ans. Le trajet dura longtemps, en approchant ma sœur me fit des recommandations et me demanda de bien m’occuper de ma nièce, je parlais français mais ma nièce pas du tout.

Un car nous arrêta devant une belle maison savoyarde assez grande, elle était seule : pas de voisins à la ronde. Derrière, nous voyons des montagnes et des champs pleins  de fleurs, nous étions en août.

Je tenais très fort la main d’Annie, j’appréhendais un peu. Je vis plusieurs personnes dans une grande salle, ma sœur connaissait une dame et lui parla en russe.

Une femme vêtue d’un tablier,  avec un fichu couvrant la tête vint se présenter, elle nous sourit gentiment et je compris que c’était madame Verbois, elle nous présenta son mari, plus bourru, portant un béret sur la tête et appela Danièle, sa fille, qui nous conduisit dans la chambre. Je redescendis vite vers ma sœur de peur qu’elle ne reparte, elle me permit de l’accompagner jusqu’au car. Annie jouait avec Danièle, je me mis à pleurer très fort et ma sœur griffonna quelques mots en me disant « Tu donnes ça à la dame qui parle en russe et elle te ramène avec elle demain » Le car venait d’arriver et elle monta les larmes aux yeux.

Je rentrai et donnai le papier à la dame russe,  elle le regarda et ne dit rien alors je me permis de lui demander « Demain vous me ramènerez chez moi ? » - Pas possible répondit-elle – Mais que vous a écrit ma sœur dis-je en recommençant à pleurer ? – De te consoler me répondit-elle. Je me tu et cherchai ma nièce, elle jouait tranquillement avec Danièle et je préférai ne pas lui dire que sa maman est partie. En me voyant Annie se précipita vers moi en me disant « Elle ne comprend pas ce que je dis, elle ne sait pas parler », je souris et lui répondit que je traduirai.

Le repas me parut un peu bizarre, il y avait de la soupe où madame Verbois mettait le tomme et le pain et il fallait manger ça, je n’étais pas habituée mais je m’efforçai d’être polie et de manger.

Nous pouvions jouer encore un peu, Danièle était de mon âge et cela me fit plaisir, elle me prêta sa trottinette, je m’amusais bien.

Avant de se coucher, nous étions 5 enfants, madame Verbois en gardait tous les étés, elle nous demanda de nous accroupir dehors pour uriner en chantant « fait pipi sur le gazon pour arroser les coccinelles… » J’étais choquée, je ne faisais pipi qu’aux toilettes ou dans un pot mais jamais devant les autres, elle insista tellement que je n’arrivai pas et elle me laissa aller plus loin avec Annie qui ne me quittait pas.

La chambre à coucher était grande, il y avait un lit pour Danièle, un autre pour moi,  et un petit lit pour Annie, les autres fillettes dormaient dans une autre pièce.

J’approchai le lit d’Annie du mien et elle me donna la main pour s’endormir. Longtemps je pensai au voyage, à ma sœur et aux parents, je ne savais même pas où était maman ni pourquoi elle ne voulait pas me voir, si je la reverrai ?

Je m’endormis en larmes, la fatigue avait dû avoir raison de moi.

 

     Petit à petit tout s’organisa, les enfants apprennent vite et Annie se mit à parler français, elle oublie la langue russe. Madame et monsieur Verbois sont devenus « maman » et « papa », Danièle était gentille, un peu délurée et lorsqu’elle faisait des bêtises son père courait derrière elle en sabots, elle hurlait, il l’attrapait et lui donnait une fessée. La première fois je criai effrayé mais maman Verbois m’expliqua qu’elle hurlait avant d’avoir reçu la tape et n’avait pas mal du tout, je regardai et m’aperçus que c’était presque un jeu alors je n’eus plus peur. Jamais il ne me frappa et ne me gronda qu’une fois et encore pas bien fort.

La fin de l’été approchait et les enfants partaient, nous ne restions plus que toutes les trois.

Un jour ma sœur arriva, elle reprit Annie et me laissa en me disant qu’elle reviendrait un peu plus tard. Je compris que papa et maman n’étaient pas réconciliés.

J’eus de la peine à quitter Annie, heureusement que je m’étais liée avec Danièle et ce fut moins dur. Le soir le petit lit avait disparu.

Nous vivions avec la grand-mère, mère de papa Verbois, elle était pénible, ne riait jamais et faisait souvent des remarques désagréables. Un jour nous allions avec elle jusqu’au ruisseau et je la vois qui s’arrête urine debout sans bouger, ensuite elle continue sa route, Danièle éclata de rire en voyant ma tête et me dit « Elle fait toujours ça, mon autre grand-mère ne le fait pas » J’appris que la mère de maman Verbois habitait dans la colline, il fallait monter, une marche d’une heure environ pour cela que nous n’y allions pas souvent.

Enfin nous allâmes avec maman et Danièle voir mémère l’autre était « mémé » Nous avons marché un bon moment, cueilli aussi des fleurs pour les lui apporter. Je fus frappé par sa petite maison en haut d’une colline, de là on voyait des montagnes partout et quelques maisons assez loin. Elle me charma de suite par sa gentillesse, sa compréhension, je l’aimai aussitôt. Elle nous offrit des bonbons et une tartine avec du chocolat pour goûter puis maman nous demanda d’aller jouer dehors. Nous tressions des couronnes avec les fleurs, au bout d’un moment Danièle décida de rentrer et j’entendis maman dire en parlant de moi « Léna est bien plus sage que Danièle, elle ne mérite pas son sort » Je me sentis gênée, Danièle ne dit rien et nous sommes rentrés en parlant d’autre chose. Il fallait traire les vaches et maman se précipita au travail, parfois Danièle l’aidait, pas moi, j’en avais une peur bleue et quand il fallait faire ses gros besoins j’étais morte de peur ; nous faisions nos besoins dans l’écurie car les toilettes n’existaient pas.

Outre les vaches il y avait des cochons, des poules, des canards mais je ne me souviens pas de chiens ni de chats.

Un jour Danièle me dit « Aujourd’hui on va tuer le cochon, quand il va crier, tu vas sous la table et tu te bouches les oreilles » Je ne me sentais pas rassurée. Il y eut plein de monde, à plusieurs ils tenaient le cochon et malgré les yeux fermés et les oreilles bouchées par mes mains j’entendis les cris. Ensuite je vis comme on le dépeçait, les  trippes dans un bocal le sang dans un autre. Je ne me sentais pas bien, j’avais envie de vomir depuis le matin.

Le soir pour dîner on eut du boudin, j’avais tout vu, je restai devant mon assiette blanche comme un linge, plein de dégoût, papa insista pour que je mange je fis mine de vomir et maman décida :

-         Va te coucher, demain tu iras mieux – Je l’embrassai soulagée et partit au lit sans demander mon reste.

-         Tu la gâtes de trop fit papa

-         Elle n’est pas habituée, laisse-lui le temps répondit maman doucement.

Je n’entendis plus rien, j’avais fermé la chambre et me pressai d’aller au lit.

Le matin en nous lavant dans la cuvette, Danièle se moqua de moi, je lui répliquai

-         Si tu voyais des voitures partout, tu devrais traverser aux clous en faisant attention car une voiture peut ne pas te voir et t’écraser, tu aurais peur ?

-         Je crois dit –elle  en réfléchissant

-         C’est parce que tu n’es pas habituée, moi je n’ai pas peur mais j’ai peur quand on tue le cochon.

 

      Un beau jour me je suis retrouvée à l’école avec Danièle. Nous prenions le car les jours de pluie et les autres jours nous allions à pied, il y avait environ 40 minutes de marche, le car ne passait pas toujours.

L’école n’était pas très grande, toutes les classes se trouvaient groupées dans deux salles, il y avait une maîtresse très sévère, je me souviens n’avoir pas compris les « septante et nonante » et je me retrouvai dans une pièce enfermée pendant la récréation.

Timide, je ne racontai rien mais Danièle se faisait un plaisir de raconter à ses parents que je ne travaillais pas bien. Elle me jalousait, sa mère m’offrait souvent un bonbon pour ma sagesse sa grand-mère maternelle me préférait et l’avait dit, alors elle tenait sa vengeance.

Papa Verbois décida de me faire travailler, sa méthode ressemblait à la course avec les sabots en moins dur, il me disputait si je ne comprenais pas et je me bloquais apeurée. Maman Verbois le remarqua et proposa de s’occuper de mes cours et lui de ceux de Danièle, il accepta en marmonnant « C’était pas difficile pourtant »

Il y eut un jour superbe à l’école, la maîtresse nous annonça que les nouveaux mariés allaient passer par l’école et distribuer des dragées. En effet, ils étaient debout sur une charrette décorée, un cheval tirait la charrette. Elle s’arrêta et la mariée très belle, nous lança des sachets de dragées, j’en attrapai un.

Ce fut la première mariée en blanc que je voyais et j’étais fascinée.

L’hiver était rude, nous dormions avec une bouillotte et un duvet, pour l’école nous mettions des collants en laine et des bottes à cause de la neige. Je n’en avais pas et maman me passait ceux de Danièle, il arrivait qu’elle m’achète des collants ou autres vêtements de première nécessité.

A l’approche de Noël, nous reçûmes notre carnet de notes, Danièle regarda le mien et me dit « Tu vas te faire disputer, c’est dit que tu ne travailles pas » Jamais le chemin ne me parut aussi long, en arrivant, je tendis mon carnet en souriant à papa Verbois et lui demandai «  C’est bien ? » Il regarda, le fit lire à sa femme et tous deux ne répondirent pas.

Plus tard je sus par Danièle qu’il était écrit que je ne comprenais pas des choses simples ou que j’oubliai très vite une leçon apprise.

Maman m’aida beaucoup pour les leçons et je fis de grands progrès, à la fin de l’année scolaire j’avais rattrapé  mon retard, elle pouvait être fière de sa patience.

Plus j’apprenais plus j’oubliais les mots russes et les lettres de ma mère je ne les comprenais plus, même mon père m’écrivait en français. Je ne vais pas dire qu’ils m’écrivaient régulièrement, mais de temps en temps j’en recevais.

C’est ainsi que quelques jours avant Noël j’entendis par hasard maman dire à son mari :

-         Son père n’envoie plus sa pension, sa mère a envoyé un colis, on le gardera pour Noël mais son père a juste envoyé une lettre.

Je partis honteuse, ma douleur fut insupportable, j’avais peur qu’ils ne m’abandonnent, si mon père ne les paye plus vont-ils me garder, cette crainte m’empêchait de vivre.

Le soir je demandai aux deux, ils venaient ensemble nous dire bonne nuit :

-         Si papa n’envoie pas de sous pour moi, vous allez me renvoyer ?

-         Bien sûr que non répondirent-ils en chœur, tu es notre fille comme Danièle maintenant.

Je ne sais pas si Danièle l’apprécia mais je me sentis un peu réconforté.

Mes parents ne m’intéressaient plus, je voulais rester ici, où je me sentais bien.

Je me souviens, pour Noël je reçus un chalet savoyard, il ne venait pas de mes parents bien sûr, c’était une tirelire.

 

 

 

     L’hiver les occupations étaient différentes, il y avait les visites et les veillées. Les fermiers venaient en charrette attelée, je crois que les Verbois avait aussi un cheval.

Nous étions allés, un jour, avec papa, adjoint au maire, et Danièle à la mairie, il nous avait amenés dans la charrette au village puis il avait fait le feu et se mit à travailler,  nous demandant de ne pas le déranger. J’étais fière de lui, Danièle aussi car travailler à la mairie était une place enviable et il était respecté de tous.

Il y eut mardi gras et nous l’avons passé chez la mère de maman Verbois. Je me souviens, en arrivant, elle était seule et la table était couverte de crêpes, gâteaux et autres confiseries et boissons,  je vis entrer un monstre, Danièle rit mais je me mis à hurler et je cherchais à me cacher, le monstre me poursuivait en me disant « N’ait pas peur, je suis Gaston » Je ne croyais pas et je pleurais horrifiée. Maman Verbois me prit sur les genoux et lui demanda de retirer le masque, je me sentis rassurée. A ce moment d’autres monstres masqués entrèrent et je cachai ma tête dans les bras de maman, refusant de leur parler ni même de les voir. Je ne pense pas avoir pu avaler quoi que ce soit la fête fut pour moi un cauchemar.

Un matin je me sentis brûlante et maman prit ma température, elle me dit

-         tu vas rester couchée et Danièle va dormir dans une autre chambre, tu as la rougeole

Je restai une semaine ou plus sans quitter la chambre, je ne voyais plus Danièle, je me souviens de maman qui venait me soigner et me nourrir entre deux travaux et papa qui me disait bonne nuit.

Danièle l’attrapa malgré toutes les précautions, elle eut plus de chance que moi, je pouvais rester pour lui tenir compagnie, sauf les jours de classe où j’allais seule et je n’aimais pas du tout.

Il y avait aussi des tempêtes et des orages impressionnants, je me souviens d’un orage si fort que maman et papa se mirent à genoux et prièrent. Danièle et moi étions sous la table nous bouchant les oreilles. L’éclair tomba sur une cabane des Verbois et y mit le feu mais ne causa pas d’autres dégâts. Ce fut la seule fois où je les vis prier, s’ils étaient croyants cela ne m’a pas frappé.

Les jours fériés nous faisions de la luge avec Danièle mais toujours sous surveillance d’un des deux parents, la pente était assez raide. Nous tombions et rions, nous avions aussi fait un très beau bonhomme de neige qui resta longtemps.

La maison avait un toit en ardoises et celles qui tombaient nous permettaient d’écrire et jouer à l’école. Souvent nous devions user d’imagination pour remplacer une poupée par un bâton ou une table par un tabouret bancale.

Le printemps arriva, la neige disparut les jeux extérieurs furent plus fréquents. Puis l’été apparut avec la fin de l’année scolaire d’ici peu.

Je savais qu’ensuite il y aurait les pensionnaires et les enfants avec qui nous pourrions jouer et ce serait merveilleux.

La vie continuait calmement et le bonheur était au rendez-vous.

Un beau jour les Verbois m’appelèrent seule, je les suivis un peu inquiète

-         Ton papa va venir demain, il restera ici pour se reposer

-         Je ne vais pas à l’école demandais-je ne sachant pas quoi dire ?

-          Bien sûr que si. Tu le verras à ton retour.

Je réfléchis longuement pour essayer de me souvenir de ses traits, je ne l’avais pas vu depuis un an, tout était flou dans ma mémoire, je ne savais même pas si j’étais heureuse ou pas de le voir.

Le lendemain je fus nerveuse, inquiète et contente en même temps !

Quand nous sommes rentrés de l’école je vis un homme d’un certain âge accroupi par terre me tendant les bras, un large sourire éclairait son visage, j’hésitai et n’osai pas m’approcher de lui, maman me poussa presque dans ses bras et je me sentis presque heureuse.

 

 

    La venue de mon père embellit encore ma vie, il me donnait des bonbons, nous sortions avec Danièle, ensuite tous les deux. Il m'apprivoisait. Mon père peignait de sa chambre les paysages, nous aimions venir le voir peindre, il nous dessinait des caricatures, sa spécialité avec l’écriture, et nous rions en nous retrouvant sans nous reconnaître.

Mon père m’emmena voir la mer de glace, nous avons pris le car puis un autre. Ce fut assez long mais comme c’était beau le paysage puis les sculptures, les maisons en glace.

Je m’étais habituée à mon père et mon bonheur aurait été  parfait si mon père n’avait pas essayé de me préparer à la vie chez grand-mère. Elle était sévère, j’étais la moins aimée à cause de ma mère qui avait déjà quitté papa. Elle me faisait peur et cette perspective ne m’enthousiasmait guère.

La veille du départ je pleurai dans les bras des Verbois, ils pleuraient aussi. On se promit de s’écrire et papa promit en partant de revenir l’an prochain.

Je fus triste une bonne partie du trajet, tout en essayant de ne pas faire de peine à mon père, puis à Paris je fus terrorisée et mon père me serrait dans ses bras pour traverser les rues,  j’avais oublié Paris et il me terrifiait.

Arrivé chez grand-mère, elle me regarda horrifiée

-         Tu ne parles plus la langue russe, je te promets que tu l’apprendras vite fait, je ne te parlerai pas en français. Je me souviens qu’elle était choquée de trouver une petite paysanne au lieu d’une petite fille de bonne famille.

Je n’ai jamais pu retrouver la famille Verbois, mon père et mon oncle prétendirent avoir perdu l’adresse, ma sœur idem. Un jour mon père me dit qu’ils n’avaient pas rendu mes jouets et il avait jeté leur adresse en colère. Je ne dis rien, bien plus tard je ne cherchai plus de peur d’être déçue, cela je ne le voulais pas, un rayon de soleil dans mon enfance difficile.

 

Elena 2008

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