PREVENTORIUM (1955-1956)

 

    Un jour mon père me dit – Tu as un voile au poumon et tu vas partir un mois ou deux pour te soigner dans un préventorium, tu as de la chance tu seras dans le château de la comtesse De Ségur.

J’avais 11 ans et des poussières alors je posais plein de questions, la seule chose positive à mes yeux était le château, je connaissais les livres de la Comtesse de Ségur et j’étais  curieuse de voir où elle a habité.

Je partis début juillet, il faisait beau ! Quand je vis le grand portail cela me fit un peu peur mais une fois entrée, je trouvai le bois splendide, l’allée qui menait au château de même, les fleurs ornaient le tour du château. A l’intérieur on voyait partout des lithographies,  des petites filles modèles au Général Dourakine.

C’était immense, il y avait des bâtiments scolaires ou autres mais tout était dissimulé et ne dénaturait pas le château.

 

    Première étape s’appelait « Lazaret », enfer sur terre ou presque. Tout le monde passait par-là, ça durait un mois entier !

On y passait  trois quarts du temps au lit, le reste à lire ou écrire à nos parents : le courrier était lu donc les parents ne sachant pas écrire en français ne pouvaient pas écrire ou devaient se faire traduire par une personne connaissant le français.

Les colis étaient distribués entre tout le groupe, c’est à peine si on pouvait voir d’où provenait notre colis, la monitrice le partageait immédiatement.

Nous faisions quelques pas dans une petite cour sans voir les autres pensionnaires.

Le plus dur ce fut de ne pas bouger dans le lit, remontrance à chaque fois que l’orteil sortait du drap ou le bras faisait un mouvement brusque, souvent cela nous réveillait.

Deux fois par semaine, on nous changeait le linge, j’avais la chance de porter mes vêtements, la seule chose qui m’appartenait ; même les livres m’étaient confisqués, ils me  les prêtaient.

 

    Une fois la porte franchie,  nous nous sommes trouvés dans le château aux grands escaliers, tableaux anciens, écrits de la comtesse. Presque le paradis !

Nous étions dans un dortoir par quinzaine environ, du même âge aussi.

Les règles étaient moins strictes mais pas sur tout.

Colis et courrier c’était idem, par contre nous ne passions pas la journée au lit. Le matin il y avait école sinon promenade, juste interdiction de courir (ce, jusqu’à mon retour)

Repas assez consistant, interdit de laisser quoi que ce soit dans l’assiette, je me souviens avoir vomi tellement je détestais la viande rouge, on m’a fait manger mon vomi.

Les monitrices s’appelaient toutes « man » par exemple manThérèse m’avait puni car je ne voulais pas chanter une chanson russe dans le dortoir ; à l’époque j’étais timide.

Les « man » étaient puissantes, dans l’ensemble elles appliquaient les règles et peu étaient injustes. Au-dessus il y avait « Madame » c’était la Directrice, elle portait une perruque ce qui nous amusait les jours de grand vent, nous avions rarement à faire avec elle.

Son époux était pour nous « papa » nous allions l’embrasser, son rôle de papa s’arrêtait à ça, en cas de litige il nous envoyait à sa femme.

 

    Une fois par mois nous passions le grand portillon en minicar pour aller à la pharmacie du village,  nous avions une prise de sang puis le pharmacien nous donnait quelques bonbons. Nous rentrions de la même manière.

Je peux dire que je suis restée enfermée durant un an sans sortir du territoire, nous nous sentions un peu prisonnières et parfois il y avait des fuites, toujours retrouvées La punition était très dure dans ce cas.

Après le repas, nous faisions une sieste, sans bouger, le drap sur la tête : pas facile à s’y habituer. Il y avait une fille du groupe qui surveillait à tour de rôle et la première qui bougeait était punie de lecture au prochain repos.

Après cette sieste draconienne, nous avions une promenade et les endroits étaient magnifiques.

Retour sieste avec livre, toujours sans discuter, j’aimais ce moment et je lisais beaucoup.

Puis venait le dîner, et enfin nous nous couchions pour la nuit sans parler ni bouger.

Nous pouvions parler le matin entre nous en se levant, se lavant, en promenade parfois même à la cantine ou au goûter, cela permettait de se faire des copines.

 

    Nous allions à l’école uniquement le matin, nous n’avions pas de leçons, mais il fallait étudier sur place durant 4 h avec 15 mn de repos. Cela ne me gênait pas, quand il faisait beau, nous mettions les tables dehors et étudions à l’air libre. J’en garde un bon souvenir, la maîtresse était humaine et les cours me plaisaient.

Parfois, il y avait une séance de cinéma : c’est ainsi que j’ai vu « le voleur de bicyclettes » et « pêcheur d’Islande », je ne me souviens pas avoir vu d'autres films.

A Noël nous avions eu un spectacle très joli avec des gens du cirque. Puis nous avions aussi fait notre propre spectacle et ce fut un moment merveilleux où j'oubliais presque ma famille.

Les visites des parents étaient recommandées 2 fois par mois : le dimanche toute la journée, nous pouvions aller où nous voulions à condition de ne pas quitter l’établissement. Certains parents venaient tous les mois, il suffisait de demander l’autorisation, je n’ai pas eu cette chance.

 

    Le moment le plus délicat pour nous était la radio, non pas qu’elle soit douloureuse mais à la suite du résultat nous savions si nous restions un mois de plus ou pas. Radio mensuelle qui causait des bonheurs mais aussi tant de pleurs quand le radiologue disait « un mois de plus Mlle B… » Les amies partaient, écrivaient au début puis oubliaient, celles qui restaient se faisaient d’autres amies avec les nouvelles.

Le jour de la radio était attendu mais aussi très appréhendé.

Autre chose à laquelle c'était dur de s'habituer, dès le début, le fait d’avaler une tonne de médicaments sans eau, pourquoi nous n’avions pas le droit de boire en prenant les médicaments ?

Je me souviens du PAS, des gros médicaments roses, j’en avais 7 en même temps avec 2 autres et je devais tout avaler à la fois. J’ai la chance d’avoir pu, d’autres gardaient toujours un goût médicamenteux dans la bouche.

 

    Nous aimions nous retrouver à l’infirmerie,  lors d’une grippe, nous avions le droit de lire et on ne nous surveillait pas tout le temps, nous n’étions pas obligées de dormir la couverture sur la tête. Malheureusement cela ne durait pas longtemps et les restrictions revenaient. J’ai appris à manger de tout, même mon vomi, à ne pas répondre car les sanctions étaient trop fortes par rapport au peu de liberté qu’on nous laissait. J’appris à me servir d’une seule feuille de papier wc en allant me laver ensuite, jamais compris pourquoi on nous économisait le papier toilette. J’ai appris à ne pas être claustrophobe en dormant sous les couvertures ou en restant seule les jours où j’étais punie dans une petite pièce. J’ai appris à ne pas pleurer, les « man » n’aimaient pas les pleurnicheuses et le montraient bien. J’ai appris à écrire en français à mes parents tout en leur parlant russe quand je les voyais une fois tous les deux mois. J’ai appris la patience et l’endurance. Les deux mois que mon père m’avait prédit durèrent un an.

Le jour où je sortis, je fus très heureuse, en même temps triste de quitter mes copines, inquiète aussi car je n’avais pas couru durant un an.

Je vis l’emplacement de la tombe de Sophie, une des petites filles de la comtesse de Ségur.

En effet, je fit une rechute mais elle fut vite guérie par un traitement à base de tortue.

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