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LA FEMME AUX PIGEONS

Depuis plusieurs jours je la vois,  elle prend des miettes de pain puis s’ immobilise les bras levés et les pigeons viennent picorer. Ils sont habitués je pense car je ne vois aucune hésitation, ils volent et se posent sur elle avec la plus grande confiance.

Un sourire épanoui effleure le visage fatigué de cette femme sans âge, elle ouvre doucement son grand cabas et fait entrer les pigeons dedans, puis referme guettant autour d’elle.

Je me souviens de mon père qui avait vu une femme donner à manger à des pigeons puis les emmener pour les manger et mon coeur se serre.

Discrètement je la suis, la femme est fatiguée et pose son cabas régulièrement avant de reprendre son chemin. Elle s’ arrête et ouvre une porte, j’ entrevois une petite cour, au fond une volière pas comme les autres, le grillage est ouvert et les pigeons entrent et sortent librement.

La femme ouvre le cabas, les pigeons volent vers la volière retrouver leurs compagnons,

ensuite la femme entre dans la maison basse et ramène des graines qu’elle remplit dans différents récipients, donne de l’eau, enfin s’assoit  à ce moment son visage devient serein,  ses  yeux ne quittent plus le va et  vient  des oiseaux.

Je me sens indiscrète et je m’ éclipse  discrètement.

 

 

JADIS

Monique était assise près de l’âtre, elle se souvenait des châtaignes qui sautaient dans le feu, des bûches qu’elle coupait juste à la grandeur de la cheminée ; elle avait aimé ce temps c’était sa jeunesse, la convivialité qui n’existait plus.

Son gendre rajoutait une bûche dans l’insert, Monique la regardait, le crépitement n’était pas le même ni la beauté du feu. Elle se taisait comme elle avait appris à le faire depuis la mort de son mari. Sa fille l’avait prise chez elle, Monique ne pouvait plus se mouvoir seule et la maison de retraite médicalisée coûtait trop cher.

Personne n’avait demandé l’avis de Monique, elle n’était pas heureuse chez sa fille, non qu’elle lui fasse du mal ou la maltraite mais elle aurait voulu rester chez elle avec une fille qui serait venue l’aider à se laver et s’habiller, après elle pouvait se débrouiller avec un fauteuil roulant. Les enfants n’ont pas voulu, sa fille aînée a décidé de la prendre, sans grand enthousiasme, elle avait du travail avec la ferme et ses enfants adolescents.

Les voix ronronnaient autour de Monique, elle n’écoutait pas, elle se souvenait de Maurice qui l’avait demandé en mariage devant la cheminée, sa mère avait accepté pour elle, comme elle était rouge et se sentait gauche devant lui, pourtant elle l’aimait. L’amour ne durait qu’un temps, après le premier enfant, Maurice alla courir les filles pendant qu’elle travaillait à la ferme et aux champs, les enfants lui avaient pris beaucoup de temps dans sa vie, elle en avait eu huit.

Monique n’avait pas le temps de chanter des berceuses à ses enfants, elle surveillait qu’ils se lavent, aillent à l’école, mangent proprement et ne déchirent pas leurs habits, le surplus était pour les familles riches.

Sa fille n’avait que deux enfants, elle leur racontait des histoires, les embrassaient, trouvait du temps pour jouer avec eux ; cela la dépassait, dans le temps le travail prenait tout son temps, sa belle-mère était sur son dos, elle devait aussi travailler pour elle. Elle ne se souvenait plus quand avait-elle eu une minute à elle dans sa jeunesse ? Avant de se marier, un peu, puis après le mariage tant que Maurice ne s’était pas lassé de ses caresses. Après elle faisait comme ses compagnes, elle travaillait tôt et se couchait tard, elle mangeait rarement avec la famille, elle grignotait dans la cuisine entre deux occupations.

Malgré la fatigue, Monique avait aimé cette vie, elle se souvenait quand ils se retrouvaient tous dans le pré, après avoir travaillé le champ, ils mangeaient ensemble, les hommes se reposaient, les femmes débarrassaient et faisaient la vaisselle dans le ru en racontant des blagues et riant.

Il ne fallait pas grand chose pour rire à l’époque, aujourd’hui, sa fille ne riait pas souvent, pourtant elle avait plus de temps libre que sa mère n’en avait eu.

Monique s’ennuyait, sa fille lui avait laissé des magazines à lire, cela l’amusait dix minutes, elle en avait vite assez et voulait autre chose, elle tricotait un peu, ses mains lui faisaient mal et le médecin avait dit « le tricot, pas plus d’une heure par jour » Elle ne pouvait plus coudre voyant moins bien, elle se sentait bonne à rien, personne ne le remarquait sauf elle. La souffrance devenait intenable à vivre ainsi sans rien faire d’utile, elle n’était pas habituée et n’aimait pas. Parfois un des petits-enfants venait lui tenir compagnie, elle ne savait pas comment lui parler ; au début elle avait essayé de lui enseigner la vie agricole, les chants des oiseaux, les légendes du pays, l’enfant ne comprenait pas et demandait une histoire comme maman ; elle ne connaissait pas. Petit à petit elle décida de parler le moins possible et que pour les choses utiles, ainsi elle perdait moins son temps et pouvait vivre dans ses souvenirs avec Maurice, malgré ses tromperies, ils avaient été heureux, ils avaient su rire, danser, s’amuser le jour du carnaval, inviter ou aller aux veillées.

Monique allait atteindre 90 ans, son mari était mort, il y a 20 ans, elle vivait chez sa fille depuis deux ans, les autres enfants venaient la voir une ou deux fois par mois pour se donner bonne conscience. Plus rien ne la retenait ici-bas, elle s’approcha avec son fauteuil vers la fenêtre, elle était au second étage ; elle réussit à bousculer son fauteuil et glisser vers la rampe de la fenêtre, elle entendit crier un des petits-enfants, fit un effort immense et réussit à glisser par la fenêtre. Elle vit sa vie se dérouler le temps de venir s’échouer sur le ciment. Monique allait rejoindre Maurice, la seule chose dont elle était sûre en s’écrasant.

 

JEU  FUTURISTE

Depuis deux ans je vis sur l’île, si seulement je savais où elle se situe ? Je ne vois pas de bateaux, et les rares avions ne me voient pas.

Michel est parti, il m’a laissé seule. Il cherche comment revenir à la civilisation, je doute qu’il trouve le moyen de fuir cette maudite île, à moins de construire une barque… Mais avec quoi ? L’île est déserte même pas un arbre !

Je cherche des yeux les oiseaux, ils sont tous partis,  émigration du début de l’hiver. Les quelques baies existantes ne donnent plus de fruits, heureusement qu’il reste la pêche, pas facile de ramener des poissons à la main, la mer devient froide, il faut avoir très faim pour s’y mettre encore. Ensuite  il faut vite s’habiller, nous n’avons pas de chauffage.

Il serait plus simple d’énumérer ce qu’il nous reste : quelques citernes d’eau, un paquet de sucre, un petit pot de nescafé et notre cabane, nous ne l’avons pas détruit pour chauffer, elle nous protègera plus longtemps qu’un feu de bois.

Nous n’avons aucun meuble, si un lit en fer, aucun moyen de communiquer avec les autres… Pourquoi suis-je ici ?

 

Je me revois, avant notre départ, Michel m’avait poussé à accepter ce jeu, il disait

-         tu verras nous vivons en couple depuis 4 ans, aucun nuage entre nous, il est normal qu’on gagne. Il suffira d’être patients. Comme il se trompait, je l’ai cru, je l’ai suivi.

La chaîne 9A (Radio planétaire, dépendante de la télé) proposait un jeu, il suffisait de partir sur une île inconnue, nous ne devions pas connaître la destination, et là nous devions y rester 3 ou 4 mois maximum, le dernier gagnant était resté 4 mois et 10 jours . Les organisateurs nous laissaient une cabane, quelques provisions,  pour un mois environ, de l’eau en assez grande quantité , ensuite à nous de nous débrouiller. Ce jeu était destiné aux couples mariés ou pas, le couple le plus résistant gagnait une somme rocambolesque, elle nous permettrait d’avoir notre maison, faire un voyage et vivre un an sans travailler.

Nous sommes partis une vingtaine de couples, chacun de nous étaient dispatchés sur des îles différentes. La règle nous interdisait aucun objet pour se repérer. Nous avions avec nous un sac contenant des vêtements, le nécessaire de toilette sauf ciseaux ou rasoir (pas d’objets coupants), nous n’avions pas de montres, bref juste quelques livres.  Il était impossible de savoir où nous allions, chaque couple était dans une cabine séparée, impossible de se parler, il faisait nuit, des volets fermaient les hublots, les verrous empêchaient l’ouverture.

Michel avait compté dix jours de traversée et moi neuf, première petite divergence.

 

Quand le bateau s’arrêta pour la quinzième fois, une personne entra et nous fit descendre. Nous nous sommes retrouvés sur un île grande de quelques kilomètres à vue d’œil. La personne nous montra le cabanon, sans un  mot elle repartit sur le bateau, j’essayai de poser quelques questions en vain.  Michel me tira gentiment en me montrant la vue splendide sur les fleurs sauvages, les baies, les rochers. Il s’en dégageait un côté sauvage et pittoresque. Nous étions frappés, il n’y avait pas d’arbres, juste des buissons, cela donnait du charme à notre île. Dans le cabanon nous trouvions de quoi manger pour un mois et plus d’après nos estimations, une boîte d’allumettes, ensuite il fallait apprendre à faire du feu ... L’eau ne manquait pas et cela nous a tout de suite rassuré – Nous pourrons vivre d’amour et d’eau fraîche dit Michel.

Dans un coin il y avait un lit en fer et à côté une boîte bizarre, je la tournai dans tous les sens –Lâche-là me lança Michel en colère, je la laissai tomber – C’est un désastre cria Michel affolé. Je le regardai sans comprendre ?

- C’est la boîte qui nous permettait de les rappeler pour revenir, comment fera-t-on maintenant dit-il – Il y a bien un autre moyen pour les joindre demandais-je ?- Non, justement pas, il réfléchit et continua – Ils nous ont parlé de cette boîte, ils avaient dit qu’ensuite le seul moyen de revenir serait d’être très malade, ils avaient un appareil qui permettait de savoir à distance si l’un de nous devenait très malade. Je me tais le cœur gros. Par ma faute notre arrivée a très mal débuté.

 

Une fois installé, tâche très simple avec un grand sac en toile, nous faisons le tour du propriétaire. Je remarque qu’il y a surtout des pierres et quelques vipères, le manque d’arbres m’inquiète un peu, je n’en parle pas à Michel,  j’avais déjà fait assez de bêtises. Les fleurs étaient vraiment splendides, je regrettai l’interdiction de prendre sa caméra ni appareil photo.  Les framboisiers étaient les bienvenus, au moins nous ne risquions pas le scorbut, d’autres baies se trouvaient sur l’île.

-Viens nager me cria Michel en se déshabillant. Je courus dans l’eau et nageait avec un  immense plaisir – Regarde les poissons Michel, tu pourras pêcher dis-je en riant.

Après notre bain, nous avions fait l’amour, nous recommencions notre lune de miel.

Le lendemain, nous avons commencé à nous exercer à faire du feu avec deux pierres, au bout de deux jours Michel avait réussi à faire des étincelles, le manque d’arbres nous empêchait d’avoir des branches, nous pouvions juste allumer les quelques buissons séchés au soleil puis gardés dans le cabanon comme provision.

Le manque de bois fut notre premier gros souci, d’autres suivirent…

 

Les pluies commencèrent, nous n’avions rien pour chauffer, il ne faisait pas froid, se promener toujours mouillés nous rendait de moins bonne humeur. Michel s’exerça à la pêche, nous n’avions ni fil ni appât, il fallait attraper les poissons à la main, cela demandait une très forte adresse de sa part. Pendant ce temps, je cueillais les fruits, les plantes et herbes qui nous servaient de salade, nous les mastiquions longuement. L’idée venait de Michel, comme nous n’avions aucun moyen de partir sauf si on décelait une maladie conséquente par ordinateur, il fallait tester les herbes, en s’empoisonnant on tomberait malade et les secours viendraient nous chercher.

C’est ainsi que Michel s’intoxiqua deux fois avec certaines plantes, il resta malade un temps assez long, je ne le quittai pas, il vomissait, je pense qu’il avait une forte température puis il se remit de lui-même. A partir de ce jour notre inquiétude augmenta. Fallait-il mourir pour qu’on vienne nous chercher ?

 

Nous comptions, les jours, mois puis années avec les pierres, il n’en manquait pas sur l’île de la mort, comme nous l’avions appelé au bout de quelques mois. Pendant les essais de Michel avec les plantes toxiques, ne sachant pas pêcher, j’appris à taper sur les serpents pour les tuer , cuire et les manger. Je me munissais de pierres et je les lançais sur le serpent, ensuite j’en prenais une plus grosse et je l’achevais. Nous avions de la viande pour quelques jours, c’était mieux que rien. Michel avait ramené des rats ou autres bêtes du même genre. Les ennuis commencèrent vraiment au début de l’hiver, les fruits ne poussaient plus, les plantes mangeables non plus ; il nous restait la pêche, la chasse aux rats ou vipères.

Nous avions commencé à nous tourmenter sérieusement sur notre avenir, les disputes aussi faisaient partie de notre quotidien :

-         Comment veux-tu construire un bateau sans bois disait Michel – Faisons un feu ripostais-je, on nous verra d’un avion – Gourde, Robinson Crusoé c’est un roman pas la réalité rétorquait Michel. Je me retenais pour ne pas pleurer, je ne voyais pas comment on allait s’en sortir.

 

Nous avons tenu deux ans, j’ignore combien je pèse mais sûrement 1/3 de moins qu’en venant, idem pour mon compagnon. Que pouvait-il faire ? Il y a dix jours notre dispute fut plus forte que les autres et il partit en disant – Je m’enfuirai, tu verras, peut-être sans toi… Puis je n’ai plus eu de nouvelles, j’ai fait toute l’île dans tous les sens en l’appelant sans résultats. Déjà  deux ans et 10 jours,  il y a de quoi être inquiète , seule c’est  devenu intenable. La fatigue, le froid et la faim m’empêchent de réfléchir clairement.

J’entend un avion, le premier depuis des mois, je regarde stupéfaite, il s’approche et va se poser sur l’île. Avec mes dernières forces je cours vers lui. Une équipe de secours descend en me demandant – Où se trouve le malade ? Ahurie je ne répond pas, un déclic et je crie – Michel, c’est sûrement lui, je ne l’ai pas trouvé, j’ignore où il est.

L’équipe part d’un pas vif et je la suis avec mes dernières forces. Nous le trouvons entre deux pierres évanoui.

Une heure plus tard nous montons dans l’avion, Michel avait repris des couleurs, il me sourit – Je l’ai fait exprès, tu sais les plantes qui m’ont rendu malade, j’en ai repris et tu vois ça marche chuchote-t-il. Fatigué il s’endort appuyé contre moi.

 

En avion le trajet me paraît assez court, personne ne nous  dit où était située l’île d’où nous venons. Ils acceptent uniquement de nous nourrir , donner à boire, surveiller le pouls de Michel.

Au retour, nous nous sommes retrouvés dans la même salle qu’au départ, la direction de la chaîne nous félicita, donna le chèque, et nous renvoya chez nous après des vagues félicitations. Une personne héla un taxi pour nous, et maintenant il fallait qu’on se débrouille. Michel est trop fatigué et je le laisse se remettre, je réfléchis à ce qui vient de se passer – Pourquoi ils n’ont rien répondu, ignorant mes questions ? Ils ne voulaient pas notre mort me demandais-je un peu effrayée.

Premier but, nous soigner, après comprendre ce qui s’est passé.

 

Le médecin vient de partir, je commence à me sentir un peu mieux, Michel revient aussi à la surface, il peut parler plus longtemps. Il m’ explique qu’il a fait exprès de se fâcher pour pouvoir exécuter son plan, il savait que je ne le laisserai pas faire.

Maintenant que fait-on ? Pense-t-il tout haut – Je crois qu’il faut revoir les organisateurs du jeu , ils doivent savoir pourquoi personne ne s’est inquiété de nous durant si longtemps dis-je- Mes parents font le tour du monde, ils n’ont pas pensé qu’on risquait quoi que ce soit et les tiens … Je me tus, ils étaient fâchés depuis plus de trois ans. Oui… fit Michel il faut essayer d’éclaircir les choses, trop de ténèbres dans cette affaire.

 

La chaîne 9A n’était pas au courant de notre départ depuis 2ans, la robotique s’occupe de tout, dès qu’un couple veut revenir il suffit d’appuyer sur le bouton de la boîte et nous sommes prévenus, vous avez cassé la boîte, il était impossible de venir vous chercher dit la responsable – Pas possible que personne ne se soit aperçu de notre longue absence ? rétorque Michel – Vous êtes des milliers à suivre différents jeux, nous ne pouvons pas surveiller chacun de vous, l’ordinateur s’occupe de tout, nous ne sommes que cinq personnes pour tout organiser finit par dire la responsable, comment voulez-vous qu’on voit tout ? J’explose – Alors, on ne fait pas de jeux aussi dangereux si on ne peut pas assumer les imprévus criais-je ! Elle hausse les épaules et quitta la salle.

Michel me prend  le bras et m’emmène à la maison, il téléphone à son avocat, un ami d’enfance, celui-ci lui répond qu’il ne gagnerait pas le procès contre la production, il le lui déconseille fort d’autant plus qu’on a touché une belle somme en tant que gagnants.

Tu te souviens nos parents disaient, dans les années 2008 "ces jeux dans les îles finiront mal", nous ne les avons pas crus fit Michel – Tu as raison, les miens prédisaient qu’il y aurait obligatoirement des accidents sans la surveillance de l’homme sur la robotique, dire que nous avons perdu deux ans et personne ne nous les rendra même pas l’argent qu’ils nous ont donné, ces deux ans de notre jeunesse pourrons-nous les retrouver dis-je en soupirant ?

Michel haussa les épaules et m’embrassa tendrement, il n’avait pas la réponse. Il fallait réapprendre à vivre dans un monde déshumanisé.

 

L’ETRANGER

Lorsqu’il est venu habiter la masure du père Vieney, il a juste dit « Je ne suis pas d’ici » depuis les gens l’appelaient « L’étranger » Il parlait très mal le français, parfois sa femme traduisait à sa place, elle était française. L’épouse faisait des ménages, leurs deux fillettes allaient à l’école puis à la garderie,  l’étranger faisait des petits travaux au noir, il n’avait pas encore l’autorisation de vivre en France.

Il était très bricoleur, savait poser le carrelage, monter un mur en ciment, connaissait la plomberie et l’été il débroussaillait les champs du village et des environs.

Le couple avait arrangé la masure, colmaté les trous et vivait assez bien. A mon tour je lui avais demandé des travaux dans le grenier, arranger une pièce supplémentaire. Il venait le matin, rentrait manger chez lui et revenait l’après-midi, le soir sa femme venait le chercher avec les enfants en voiture, il n’avait pas de permis. Les enfants attendaient dans la voiture poliment, je les ai  fait entrer et jouer dans le jardin, ils étaient polis et gentils. Un jour nous avons discuté pendant qu’il travaillait, il m’a dit qu’il était grec d’un côté et polonais de l’autre, avec une goutte de sang juif et une goutte venant d’Ukraine. Il m’avoua ne parler que le grec et le français. En Grèce il travaillait dans un cirque. Je voulais savoir pourquoi il n’était pas resté, il a ri en disant :

-         Je suis l’étranger, trop de sang mêlé dans les veines

Sa réponse me laissa perplexe, j’avais remarqué qu’il portait l’alliance à droite, comme les Grecs, je ne comprenais pas pourquoi il avait quitté son pays ? Il m’intriguait, je décidai de demander à son épouse, il arrivait qu’elle reste avec moi le temps qu’il finisse son travail. C’est ainsi qu’elle m’apprit qu’en Grèce on le considérait comme un étranger, son père venait d’Ukraine et parlait mal le grec, il aurait mieux valu le contraire. Par contre, elle ne me dit pas pourquoi il avait quitté le cirque ni son pays d’origine, il était né en Grèce.

Nous les voyons dans différents villages avoisinants travailler à l’extérieur, son épouse venir le chercher et les enfants toujours tranquilles.

L’étranger vivait dans la masure de Vianey depuis un an déjà, je le voyais en passant en voiture, lorsque j’allais faire des courses. Les enfants jouaient avec d’autres enfants, ils semblaient s’être adaptés au village.

Dans l’ensemble, les gens étaient contents de ses services, ils payaient moins chers, l’homme travaillait bien, on n’avait rien à lui reprocher.

Le travail au noir pose toujours un problème : il rend jaloux ceux qui travaillent en payant des impôts, en gagnant moins sans prendre de risques.

Je l’avais conseillé à ma voisine de droite, une vieille dame veuve, elle avait besoin de refaire son sol. L’étranger était accompagné par sa femme, elle était repartie et le soir elle l’attendait devant la porte. Parfois elle venait avant ou plus tard, selon l’heure où elle finissait ses ménages. Son travail était régulier, elle ne travaillait pas au noir. Bonne précaution, ayant deux enfants, elle ne voulait pas prendre de risques.

C’est chez ma voisine que j’ai su qu’elle l’avait rencontré au cirque, il n’exerçait plus mais ça lui manquait et dès qu’il y avait un cirque dans un village il essayait d’y aller, parfois il leur donnait un coup de main tellement il était heureux de se retrouver parmi eux. Je la questionnai, j’ai su qu’elle l’avait vu marcher sur la tête, faire des sauts un peu spéciaux… A ce moment il était venu et elle s’est tue immédiatement. Il ne dit rien, j’ai eu l’impression que cela ne lui plaisait pas de trop.

L’étranger avait fait des efforts pour comprendre et se faire comprendre, il connaissait bien l’anglais mais dans les villages français peu de gens parlent anglais, parfois un enfant traduisait.

Un jour sa fille aînée, était restée avec moi, nous avions promené mes chiens ensemble, elle me dit :

-         Mon père n’a pas de patrie

-         Il est grec pourtant

-         Je sais, mais je ne suis pas sûre qu’il se sente grec, il dit qu’il est partout « Etranger » Il aimerait que nous restions françaises, c’est trop dur !

Etonnée, je lui demandai ce qui était dur pour son père ? Elle me regarda et dit :

-         Vivre et ne pas faire partie du pays, ne pas comprendre, se sentir humilié, voir la pitié…

Je ne savais plus quoi répondre, comment changer cet état d’esprit, je ne savais pas s’il avait cette impression ou si les autres le lui faisaient sentir ?

En revenant de promenade, son père lui fit remarquer qu’il est tard, ils partirent aussitôt, sa femme conduisait. Je la sentis ennuyée, elle n’aurait pas dû laisser sa fille venir avec moi. Cette impression se confirma la fois suivante, quand je proposai à la petite de m’accompagner, sa mère refusa prétextant qu’elle allait étudier dans la voiture,  je n’insistai pas.

L’étranger vécut 18 mois tranquille, dans un village voisin. Il travaillait, parlait peu, attendait sa femme pour rentrer chez lui.

Tous étaient discrets dans l’ensemble et le peu que j’appris les autres ne le savaient pas.

Un jour, l’étranger travaillait sur un toit, il remettait les tuiles de la mère Damien, le vent les avaient fait tomber, son maçon était débordé par des dégâts plus importants, elle avait trouvé plus simple de demander à l’étranger. Cet argent permettait à l’étranger d’économiser pour arranger la masure, il comptait l’acheter et l’arranger en jolie maison pour sa famille.

Le lendemain je vis les gendarmes rôder dans le village, ils posaient plein de questions sur l’étranger, du genre

-         As-t-il travaillé chez vous, que savez-vous de lui, d’où venait-il et j’en passe…

Comme les autres je dis le strict nécessaire. J’allais voir ma voisine, elle pensait qu’il avait été dénoncé pour son travail au noir, sans doute un maçon qui avait été remplacé par lui.

Quelques jours passèrent, on ne vit plus l’étranger, la masure était fermée. Etonnée, je me renseignai auprès des voisins du village ils dirent que les gendarmes sont venus le chercher, la femme et les filles sont retournées dans la famille de l’épouse. Je demandai pourquoi on l’avait arrêté ?

-         Il était poursuivi comme trafiquant de drogue, dirent certains

-         Il avait volé les Bertrant, son pris était plus cher que prévu dit un autre

-         Il n’avait pas dit qu’il n’avait pas la carte de séjour, on ne l’aurait pas pris dit encore une personne.

L’étranger n’a plus reparu, les travaux, qu’il avait fait ne semblaient plus aussi bien, les prix n’étaient pas intéressants puisque sa femme venait le chercher et il partait souvent avant l’heure.

Je ne me plaignais pas, tout avait été bien fait, ma voisine trouva son sol mal fait et fit venir son maçon.

Tour à fait par hasard, je tombai sur sa femme, je lui demandai comment allait son époux, elle me répondit :

-         il a quitté la France

-         Comment, et vous ?

-         Il n’avait pas la permission de vivre en France, c’est pour ça qu’il vivait à la campagne, il a été dénoncé pour avoir travaillé au noir. Les gendarmes sont venus le chercher et l’ont ramené en Grèce.

-         Et vous, vous n’avez pas pu le suivre ?

-         Non, je suis française, il m’a écrit qu’il va essayer d’avoir un visa pour venir, je n’y crois pas de trop. Pour la drogue c’est vrai mais il a payé, il est allé en prison, depuis jamais il n’y a touché. Je me demande comment ils ont pu savoir ?

Elle pleurait disant qu’elle l’avait prévenu que les gens n’aiment pas les gens d’ailleurs. Elle s’était réfugiée chez ses parents car on attaquait ses filles, disant que son père travaillait mal, qu’il était un escroc, qu’il ferait de la prison…

Maintenant je dois oublier, mes filles aussi tout en souhaitant le retrouver un jour, j’ai envoyé une lettre en Grèce, après je n’ai plus continué, s’il se cache je ne veux plus qu’on le dénonce, surtout pas par moi.

L’étranger n’est plus revenu, l’épouse vécut chez ses parents, elle éleva seule ses enfants, il ne lui donna plus signe de vie, pourtant, un jour elle disparut à son tour...

 

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